Manuel Valls, l’ami des puissants qui voulait tourner la page du socialisme Source
Portrait. Manuel Valls quitte
la place Beauvau
pour l’Hôtel Matignon. Il emporte dans
ses valises les idées sociales-libérales puisées dans les cercles patronaux, fixant le cap d’une gauche socialiste empêtrée dans
ses contradictions.
«Notre pays a besoin de tempérance et de mesure. Les Français vivent une période difficile. » Manuel Valls va-t-il recycler cette partie de son discours d’arrivée au ministère de l’Intérieur, le 17 mai 2012 ? Il affirmait encore récemment vouloir « profiter de ce moment pour gagner en force, en maturité et en expérience ». Mais a finalement accepté de remplacer Jean-Marc Ayrault au poste de premier ministre. De lui-même, le nouveau chef de l’exécutif disait avant sa nomination : « Je suis ambitieux et j’ai les capacités d’aller plus loin. (…) Incarner ce pays, je le fais déjà » (déclaration à Jacques Hennen et Gilles Verdez dans Manuel Valls, les secrets d’un destin). Le Catalan, naturalisé français en 1982, est un homme pressé. Un trait de caractère qu’il partage avec un prédécesseur de la place Beauvau ? Sa modestie aussi. « Depuis les primaires, un vrai déclic pour moi, je suis à la fois légitime et crédible. » En se confrontant, courant 2011, au vote des électeurs socialistes – dans et hors le parti – pour déterminer le candidat à l’élection présidentielle de 2012, et même si le résultat (5,63 %) n’était pas à la hauteur de ses attentes, Manuel Valls a pu se retourner sur le chemin parcouru depuis ses débuts. Attaché parlementaire en 1983, conseiller régional d’Île-de-France en 1986, son appétit le pousse à accélérer. En 1989, à la tête du groupe socialiste et Verts – « au garde-à-vous, le doigt sur la couture du pantalon » – au conseil municipal d’Argenteuil, il veut déloger les communistes de l’hôtel de ville. Il « ratisse large », se remémore un connaisseur de la politique locale interrogé par Jacques Hennen et Gilles Verdez. « Il arrive même à emporter l’adhésion des gens du centre droit, c’est dire. On a vu tout de suite qu’il irait loin. » Loin mais ailleurs : aux législatives de 1997, il arrive quatrième derrière le PCF, le RPR, et le Front national. Heureusement pour lui, la dissolution de l’Assemblée nationale lui offre malgré son échec l’occasion d’une ascension fulgurante. Il devient le conseiller presse du premier ministre Lionel Jospin.
Au début des années 90, il est devenu « xyloglotte », expert en langue de bois Les journalistes le découvrent alors, « brillant » mais « hautain », et ne le lâcheront plus, comme en témoignent les unes idolâtres de ces derniers mois. Son ami Christian Gravel, aujourd’hui conseiller communication du président de la République, voit dans son rapport à la presse « l’une des clés de son ascension ». Ce n’est pas la seule. Sa plasticité politique en est une autre. Secrétaire national à la communication du Parti socialiste au début des années 1990, il est devenu « xyloglotte » – expert en langue de bois –, talent qu’il exercera au sein du bureau politique du parti, aux côtés de Jean-Luc Mélenchon, Jean-Paul Huchon, Daniel Vaillant et de ses amis Jean-Christophe Cambadélis et Jean Glavany. Depuis, il pratique beaucoup : pour le « non » au traité constitutionnel, il fera campagne pour le « oui » par « discipline » et votera même en 2008, comme député de l’Essonne, la ratification du traité de Lisbonne. Pro-Royal lors du congrès du PS de Reims en 2008, il se met Martine Aubry à dos en décrétant que « le mot socialisme est sans doute dépassé », mais ne tirera pas, comme l’y enjoint la nouvelle première secrétaire, les « conséquences » de ses paroles en quittant le parti, préférant « tourner la page » avec le soutien de personnalités de premier plan, comme Gérard Collomb et… Jean-Noël Guérini, qui ne sentait pas encore le soufre. « Jean-Noël Guérini est au cœur de tout », insistait-il. Durant la primaire socialiste, il sera contraint de le lâcher, estimant inéluctable sa démission du conseil général… La primaire socialiste marque un degré supplémentaire de son ascension. Trop étriquée, sa ville d’Évry (Essonne), où il aurait aimé voir « plus de blancs, de “white”, de “blancos” » ? Il y laisse une lourde facture, selon le magazine Capital : une pression fiscale en hausse de 45,7 %, des frais de communication en hausse « de 852,6 % entre 2001 et 2003 » Son destin national, il l’esquissait dans un livre programme intitulé Pouvoir, paru en mars 2010. « Peut-on sauver notre modèle social ? » s’interroge-t-il, voulant « hiérarchiser les priorités » et « proposer des réformes réalistes ». Par exemple, « allonger la durée de nos cotisations » Et s’il couple cette mesure à « l’augmentation du niveau des retraites et notamment des petites retraites », leur gel, sous la présidence Hollande, n’a pas provoqué de réaction de sa part. Pas plus qu’il n’a réédité ses propositions de « prélèvement de cotisations sur les stock-options » égal à « 5 milliards d’euros » ou la remise en cause des retraites chapeaux, qu’il préconisait dans l’ouvrage… malgré les échos positifs dans le discours du candidat François Hollande au Bourget. Une note d’analyse de la Société générale parue hier, rappelant qu’il s’était prononcé lors de la primaire pour une TVA dite « sociale » et un aménagement des 35 heures, résume bien « ce tournant prudent vers des mesures social-démocrates » : « La nouvelle devrait être reçue positivement dans les sphères financières. » Ses amitiés dans le milieu (François Dubos de Vivendi, Henri de Castries d’Axa, Marc Ladreit de Lacharrière, de l’agence de notation Fitch Ratings…) confirment le message.
Plébiscité par la droite, il pâtit d’une mauvaise image à gauche Est-ce ce qui a motivé la décision de François Hollande de l’appeler à Matignon, poussé par une grande partie de l’opinion de droite (41 % des sympathisants de droite le plébiscitent, contre seulement 20 % à gauche, selon un sondage BVA pour le Parisien paru en mars) ? Il y travaillerait en bonne intelligence avec ses adversaires d’hier, dit-on. Avec Arnaud Montebourg, il aurait une « analyse partagée des problèmes, (une) action commune et concertée », déclarait ce dernier, le 12 mars, à Mediapart. D’autres analyses laissent apparaître un calcul plus en phase avec le pragmatisme un brin cynique dont fait habituellement preuve Manuel Valls : plébiscité par la droite, il pâtit d’une mauvaise image à gauche, que Montebourg, pense-t-il, pourrait lui apporter. Au ministère de l’Intérieur, son credo se résumait d’ailleurs ainsi : « La sécurité n’est ni de droite, ni de gauche. » Malgré les promesses, la « politique du chiffre » de son prédécesseur y a été poursuivie, comme les expulsions. Battant tous les records, en doublant le nombre d’expulsions de Roms (près de 20 000). On le sait hostile au droit de vote des étrangers non communautaires aux élections locales, comme il l’avait été à la remise de récépissés lors des contrôles de police – à l’origine du premier reniement du gouvernement Ayrault. Quant à la réforme pénale menée par Christiane Taubira, subira-t-elle le même sort que la proposition de loi communiste sur l’amnistie sociale des syndicalistes ? Lui-même ne le sait pas, avouant, dans les Secrets du destin, « une vraie difficulté à (se) projeter dans l’avenir ». [...]
Lire : Avec les Roms, Hollande et Valls font pire que Sarkozy
Tags :
Manuel Valls
Personnalités politiques
|