Malgré des contraintes toujours plus importantes, ce mandat reste l’un des attractifs de la vie politique au point que se construisent de véritables « carrières municipales » On est loin de l’image couramment véhiculée du maire qui, sous le poids des contraintes et des responsabilités, préfère jeter l’éponge à peine son premier mandat accompli. Si l’on en croit les rares études existantes, ils seraient une très forte majorité à vouloir rempiler en mars 2014. Ils étaient 70 % à avoir l’intention de se représenter, selon une enquête de l’Ifop réalisée en février dernier. Et même 75 % des maires de communes de 3 000 à 20 000 habitants, confirme une étude de l’Association des maires des petites villes de France. Ni la défiance générale envers les politiques ni les coupes budgétaires prévues dans les finances des collectivités ne semblent les décourager. « On constate depuis 1995 qu’environ 60 % des maires élus sont des sortants. C’est qu’au moins 60 % d’entre eux se représentent », souligne Rémy Le Saout, chercheur au Centre nantais de sociologie. Un taux élevé qui bouscule quelques idées reçues. « Le discours du maire découragé n’est plus d’actualité, insiste Éric Kerrouche, directeur de recherche au CNRS à Sciences-Po Bordeaux. Il a dominé dans les années 1990, porté par la question de la responsabilité pénale des maires en cas d’accident dans leur commune. Mais en 2000, une loi (NDLR : dite « Fauchon »), en limitant cette responsabilité, a fait tomber la fronde des élus. » Au contraire, il semblerait que les maires soient toujours plus nombreux à se représenter. « Le mandat de maire devenant plus technique et plus contraignant, il y a eu une forme de sélection naturelle, avance comme hypothèse Jérôme Fourquet, directeur adjoint de l’Ifop. Ceux qui sont restés constituent le noyau dur, soit parce qu’ils se sont professionnalisés, soit parce que ce sont des passionnés dévoués à l’intérêt général », estime-t-il. Une tendance confirmée par Philippe Gosselin, député de la Manche et maire d’une commune de 660 habitants, Remilly-sur-Lozon, et coauteur d’un rapport sur le statut de l’élu. De fait, la fonction reste selon lui attractive. Le maire est l’élu auquel les Français font le plus confiance – ce qui est loin d’être négligeable dans la période actuelle – et il dispose de tous les pouvoirs. « C’est le mandat le plus complet, poursuit l’élu. On dispose d’un budget, de l’ensemble des manettes pour conduire des projets et d’un champ d’action très large qui touche au quotidien des gens. Sans compter que la politique politicienne n’a pas complètement sa place à ce niveau. » Être maire confère par ailleurs un statut social et du prestige, ce qui joue sans doute également dans la motivation des intéressés. Surtout, explique Rémy Le Saout, « en se complexifiant sous l’effet du développement de l’intercommunalité et de la technicité de l’action publique », la fonction, qui demande de plus en plus un investissement à temps plein, s’est largement professionnalisée. « Comme il n’est plus possible de cumuler avec une activité professionnelle, 60 % des maires dans les communes de plus de 10 000 habitants n’exercent plus que leur mandat, constate Éric Kerrouche, auteur d’une étude sur le sujet (1). À partir du moment où l’indemnité se rapproche du salaire médian, le mandat a tendance à se substituer à la profession », note-t-il. Et comme il est difficile pour ceux qui l’exercent de capitaliser l’expérience acquise pour retrouver un travail, ils ont tendance à se maintenir en place. On assiste alors à la construction de véritables « carrières politiques municipales ». En 2006, près la moitié des maires avaient plus de vingt ans d’ancienneté dans le mandat municipal, dont six à dix ans comme simple conseiller et comme adjoint, des mandats « écoles », avant de devenir maire. Si la fonction de maire ne connaît pas la crise, la situation varie selon la taille des communes. Plus elles sont petites, plus l’intention des maires de se représenter faiblit. Ils sont 68 % dans les communes de moins de 2 000 habitants contre 97 % dans les villes de plus de 10 000 habitants. « Les conditions d’exercice en ville sont plus confortables, justifie Vanik Berberian, maire de Gargilesse-Dampierre (Indre), 300 habitants, et président de l’Association des maires ruraux. Moi, je touche 580 € d’indemnités, dont la moitié va directement chez le pompiste ! ». Une de ses collègues du Rhône, qui voulait passer la main au bout de trois mandats, est ainsi contrainte de se représenter, faute de successeur. Et en l’absence d’un vrai statut de l’élu, la fonction attire de plus en plus de retraités. Mais, au final, il y a toujours quelqu’un pour se dévouer. « La motivation première est le sentiment d’être utile », convient Vanik Berberian qui en est à son quatrième mandat. Son prédécesseur a d’ailleurs exercé sa fonction pendant quarante-deux ans ! « C’est agréable et tant que le plaisir l’emporte sur les ennuis, on continue… » Comme le précise Philippe Gosselin, il faut cependant « avoir envie de donner son temps aux autres ». « Ce mandat conserve une vraie dimension altruiste », assure-t-il. Les maires n’en revendiquent pas moins un véritable statut pour l’élu. Celui-ci s’est heurté jusque-là à l’idéal républicain de bénévolat. « On parle pour les élus d’indemnités mais jamais de salaires », relève Éric Kerrouche. Une proposition de loi déposée par le sénateur socialiste Jean-Pierre Sueur et la sénatrice centriste Jacqueline Gourault est bien en cours d’examen au Parlement et un rapport des députés Philippe Doucet (PS) et Philippe Gosselin (UMP) est venu l’enrichir. Objectif : revaloriser les indemnités dans les petites communes, améliorer les dispositifs de formation et prolonger de six mois à un an l’allocation de fin de mandat. Des améliorations qui resteraient trop marginales aux yeux de nombreux élus.
CÉLINE ROUDEN |