Pourquoi - et comment - les banlieues résistent-elles au FN Source
Un sondage IFOP pour JOL Press sur le climat politique à Argenteuil à cinq mois des élections municipales révélait cette semaine qu’avec 15% des intentions de voix, le Front National ne semblait pas se diriger vers une percée comparable à ce qui devrait se produire dans certaines communes du Sud de la France, mais aussi du Nord ou de l'Est. Ce résultat est-il surprenant ? Eléments de réponse avec Erwan Lecœur, sociologue et politologue spécialiste de l’extrême droite. Entretien. Assisterons-nous, dans la banlieue parisienne – l’ex-ceinture rouge – à cette poussée du Front national que, sur la base des scrutins partiels de ces derniers mois, nous promettent certains observateurs ? Lors de la présidentielle 2012, Marine Le Pen avait recueilli 14,8% des voix à Argenteuil et selon un sondage IFOP pour JOL Press, publié cette semaine, sur le climat politique à Argenteuil à cinq mois des élections municipales, le FN ne recueillerait que 15% des intentions de vote. Surprenant ? Pas vraiment, selon Erwan Lecœur, sociologue et politologue spécialiste de l’extrême droite.
JOL Press : Selon un sondage que nous avons réalisé avec l'Ifop, cette semaine, le FN recueillerait 15% des voix, à Argenteuil. Cela vous surprend-il ?
Erwan Lecœur : Non pas vraiment. Le Front national a beaucoup varié dans l’ensemble des « banlieues française » mais le grand mouvement général c’est que le FN baisse plutôt dans les villes et dans les banlieues proches – Argenteuil peut être considérée comme une banlieue proche de Paris – mais commence à augmenter dans les banlieues très éloignées des villes, à plus de 30 kms, dans les zones qu’on appelle péri-urbaines. Le FN croît dans les zones qui se sentent à l’écart, dans une France qui se sent abandonnée par les centre-ville, des villes où les habitants se perçoivent comme ce qu’on appelle des « petits blancs » en sociologie, des gens qui veulent rénover leur honneur ethnique ou retrouver une place dans l’échelle sociale et qui ont l’impression de ne plus avoir accès aux services publics. C’est cette France-là qui constitue le cœur de cible du FN mais aussi son électorat grandissant. Que les banlieues ne votent pas massivement pour le FN n’a donc rien d’étonnant.
JOL Press : Le FN n’a-t-il donc aucune ambition vis-à-vis des banlieues ? La précarité de ses habitants n’est-elle pas une cible idéale ?
Erwan Lecœur : On s’est beaucoup trompé sur le vote FN. Les électeurs du Front national ne sont pas des gens qui manquent d’argent, contrairement à ce que l’on pense. Le vote FN est le vote de ceux qui ont peur de manquer. La majorité de l’électorat FN n’est pas très riche, c’est vrai, mais manque surtout d’éléments d’analyse de ce qu’est la mondialisation et a peur de l’avenir. Le vote que le FN veut conquérir c’est le vote des classes moyennes qui ont peur de perdre leur statut de classe moyenne. Et ce n’est pas dans les banlieues que se recrutent ces gens-là. C’était peut-être le cas il y a encore 20 ans quand on trouvait dans les banlieues de très beaux appartements. Mais ces habitants-là ont quitté la banlieue et se retrouvent, aujourd’hui, très éloignés des centre-ville, dans des villes pavillonnaires, où il n’y a pas de services publics et pas de transport. Ce sont ces classes moyennes, écartées des centres, qui sont les plus à même de voter FN. Ce ne sont donc pas les banlieues, en tant que telles, qui sont les « terrains de jeux » pour le Front national. Les banlieues ont d’autres problèmes à régler que les problèmes d’identité. Le risque des banlieues c’est plutôt qu’elles ne votent pas.
JOL Press : Une grande partie des banlieues nord ont été, pendant de nombreuses années, dirigées par des communistes. Cet électorat, anciennement communiste, pourrait-il se tourner vers Marine Le Pen ?
Erwan Lecœur : Sur ce phénomène, il y a eu beaucoup de raccourcis. Qu’un grand nombre d’électeurs anciennement communistes vote désormais Front national n’a jamais été démontré, sauf à la marge. En termes politologiques, ce n’est pas un phénomène massif. On a constaté, par contre, sociologiquement, que certains électeurs de gauche ont pu se tourner vers le FN. Mais c’est un vote logique, étant donné que les parents votaient à gauche et les enfants n’ont jamais voté, sauf une fois où ils ont choisi le FN. On prend des lieux, des espaces, et on en tire la conclusion que des gens ont changé de vote. Ce n’est pas vrai. Les anciennes villes rouges ne sont plus rouges car ce ne sont plus les mêmes personnes qui y habitent. Les jeunes employés qui ont remplacé les ouvriers n’ont pas du tout la même trajectoire sociologique que les ouvriers. Ils n’ont jamais voté communistes. Mais c’est le même territoire. Il y a des endroits où, anciennement, le communisme municipal était fort et où, aujourd’hui, le vote Front national est fort. C’est aussi le passage d’une génération à une autre, ce ne sont pas que des anciens communistes qui votent Front national, c’est très rarement le cas. Les anciens communistes soit votent encore communiste ou Front de gauche, soit s’abstiennent. Là où votre question est assez juste c’est que le FN essaie de faire croire qu’il va remplacer le communisme municipal. C’est leur stratégie. Le FN est le seul parti en France qui est construit exactement sur le modèle du Parti communiste des années 20. L’organisation extrêmement autoritaire de PC est une source d’inspiration pour le FN, alors que –faut-il le rappeler ? – le Front national était, dans les années 70 et 80 anti-communiste avant tout. Il y a dans cette haine du PC, une forme d’attirance phénoménale pour la réussite du communisme dans les années 50, en terme politique. Le rêve de Marine Le Pen c’est de réussir à s’implanter comme l’ont fait, à l’époque, les communistes, dans certaines municipalités.
JOL Press : Dans les banlieues, le FN va-t-il donc servir de variable d’ajustement ? Qui vote FN en banlieue aujourd’hui ?
Erwan Lecœur : Tout dépend de ce que l’on appelle les banlieues. Le terme générique ne convient pas parce qu’il existe différentes sortes d’espaces sociologiques et donc politiques. Ce que l’on peut voir, quand même, c’est que le Front national ne pourra absolument pas espérer emporter des villes de banlieue. Il est extrêmement minoritaire dans presque toutes les banlieues, sauf dans certains espaces péri-urbains. Dans les banlieues plus traditionnelles, autour des grandes villes de France, ce que le FN peut espérer c’est non pas de jouer à la variable d’ajustement, mais de jouer un rôle de petit arbitre. En fonction des soutiens qu’il choisira de faire, au second tour, il pourra faire basculer certaines villes de banlieues à droite. Son principal objectif sera de peser de 10 à 15% dans les banlieues afin de pouvoir, après négociation, faire basculer la ville de la gauche vers la droite. Enfin, il ne faut jamais oublier que le Front national peut bénéficier, au moment des municipales, de tous les troubles qui pourraient exister dans ces banlieues. Depuis quelques mois courent des rumeurs extrêmement préoccupantes, rumeurs selon lesquelles des maires auraient accueilli des populations noires venues de Seine-Saint-Denis en échange d'argent. Je n’ai aucun doute sur le fait que ces rumeurs aient été lancées par des proches ou des membres du FN, dans une stratégie de tensions extrêmes, pour faire monter le sentiment d’insécurité dans beaucoup de villes de France. S’il y avait des troubles dans les banlieues ces prochains mois, il ne faudrait pas oublier de regarder à qui profite le crime.
Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press [...]
Municipales 2014
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